Réforme des retraites : pourquoi ça coince ?

Les gouvernements se succèdent, apportant chacun une nouvelle réforme, avec à chaque fois la même antienne : "sauver notre système de répartition", "tenir compte de l'allongement de l'espérance de vie"... Pourquoi une telle accumulation de plans (1993, 2003, 2008, 2010), tous échouant à renflouer durablement le système ? Et quelles pistes pour la prochaine réforme, la 3ème en 5 ans, préfigurée par la remise à Matignon le 14 juin dernier du rapport Moreau ?


Le Conseil d'Orientation des Retraites trop optimiste !

Plusieurs facteurs peuvent expliquer l'impuissance des réformes successives à rééquilibrer le système des retraites. Le premier tient peut-être au fait que celles-ci se fondent sur des projections financières réalisées par le Conseil d'Orientation des Retraites (COR).

Ces projections ont jusqu'à présent sur-évalué les performances de l'économie française. Le 11ème rapport du COR, paru en décembre 2012, ne semble pas déroger à la règle, avec des hypothèses économiques qui supposent un redémarrage spectaculaire de l'activité.

Le scénario "moyen", par exemple, prévoit un taux de chômage ramené à 7,6 % en 2020 et à 4,8 % en 2030, un taux de croissance annuel du PIB de 1,6 % sur la période 2011-2020, puis de 1,9 % entre 2020 et 2030, pour un déficit des retraites (tous régimes confondus) limité à 20 milliards € en 2020. C'est ce rapport qui sert de base à la réforme en préparation, et de jauge aux économies ou aux recettes supplémentaires à trouver.

Chaque gouvernement cale ainsi sa réforme sur un objectif de rééquilibrage financier bientôt démenti par la réalité, encore plus cruellement en cas de flambée du chômage et de croissance anémiée. Il faut alors remettre l'ouvrage sur le métier !

Une base de financement des retraites trop étroite !

Le modèle français de financement des retraites, assis sur les revenus du travail, est extrêmement sensible aux taux d'emploi et de croissance, ainsi qu'au niveau des rémunérations versées.

Dès que l'activité ralentit, dès que le chômage réduit l'assiette de cotisants, ou quand le niveau des salaires stagne, les déficits du régime se mettent automatiquement à grimper. Or, depuis la crise de 2008, le chômage n'a cessé de progresser, et la récession dans laquelle est entrée la France ne permet pas d'espérer un renversement de tendance avant 2014, dans le meilleur des cas.

Les déficits des régimes de retraite se creusent également d'autant plus vite que la proportion d'actifs diminue. On comptait 2,2 actifs pour 1 inactif de 60 ans ou plus en 2005. Ce ratio devrait passer à 1,5 pour 1 en 2030 (source : Insee).

C'est pourquoi un nombre croissant d'économistes proposent un élargissement de la base de financement des retraites, selon des modalités différentes d'une étude à l'autre : hausse de la CSG, augmentation de la TVA, taxation supplémentaire des revenus financiers et des revenus du patrimoine, réduction de certains avantages fiscaux...

Une espérance de travail trop faible !

Les réformes successives ont toutes invoqué l'augmentation de l'espérance de vie pour reculer l'âge légal du départ en retraite et/ou augmenter la durée de cotisation requise.

Le problème, c'est que l'espérance de travail est loin de suivre l'espérance de vie. Le taux d'emploi des 55-64 ans, en France, atteint 39,7 % (source : Insee, Emploi et salaires, 2013). C'est l'un des plus bas d'Europe, loin derrière la Suède (70,5 %), l'Allemagne (57,7 %), le Royaume-Uni (57,1 %) et la moyenne de l'Union européenne (46,3 %).

Une grande partie des assurés est donc incapable de satisfaire aux nouveaux critères exigés pour obtenir une retraite complète, et doit se contenter d'une pension amputée.

Cela restreint d'autant leur pouvoir d'achat et pénalise l'économie française, où le poids des retraités est de plus en plus important : selon l'Insee, les plus de 60 ans devraient représenter 26,4 % de la population française en 2020 et 33,1 % en 2060, contre 21,5 % en 2007.

Autre effet négatif : ceux qui parviennent à rester en poste plus longtemps retardent d'autant l'entrée des plus jeunes sur le marché du travail, privant les régimes de retraite d'un afflux de nouveaux cotisants. Faute de créations d'emplois suffisantes, ce qui est gagné d'un côté est perdu de l'autre !

Des efforts envisagés pour les retraités ?...

Le rapport élaboré par la Commission Moreau est la première étape de la réforme en préparation.

Il ne délivre pas de grande direction pour résorber le déficit des régimes de retraite, mais un ensemble de mesures, une "boîte à outils" : libre au gouvernement d'y  prendre ce qu'il voudra.

Ce rapport propose notamment de faire participer les retraités à l'effort financier, de 3 manières :

. Aligner le taux réduit de CSG (6,6 %) applicable aux pensions de retraite sur celui qui grève les revenus d'activité (7,5 %). La Contribution Sociale Généralisée "retraite" serait ainsi augmentée de 0,9 point. Rappelons que les 6,6 % sont applicables aux retraités non exonérés de taxe d'habitation et dont l'impôt sur le revenu est supérieur à 61 €. Les autres bénéficient d'un taux de CSG plus faible ou d'une exonération.

. Réduire les avantages fiscaux dont bénéficient les retraités : fiscaliser les majorations de pension accordées aux parents de 3 enfants et plus ; supprimer ou diminuer l'abattement fiscal de 10 % sur les pensions.

. Désindexer les pensions de l'évolution du coût de la vie : cela signifie que le niveau des retraites progressera moins vite que le taux d'inflation. La mesure serait prise à titre transitoire et épargnerait  les petites pensions.

Une désindexation est déjà actée pour les retraites complémentaires des salariés du privé (régimes Agirc-Arrco), suite à l'accord entre partenaires sociaux signé le 13 mars 2013, qui sera applicable à partir de 2014.

... et pour les actifs ?

Le rapport Moreau propose également de mettre à contribution les actifs. Là encore, 3 mesures sont avancées :

. Augmenter la durée d'assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein, à raison d'un trimestre par génération : 167 trimestres pour la génération 1957, 168 pour la génération 1958... jusqu'à 176 trimestres pour les générations 1966 et au delà. Le rapport propose un deuxième scénario, plus "soft", au rythme d'un trimestre toutes les deux générations : 167 trimestres pour les générations 1957 et 1958, 168 pour les générations 1959 et 1960, etc.

. Reculer l'âge légal de la retraite à 63 ans, et celui du taux plein automatique à 68 ans. Ou, dans un scénario plus modéré, accélérer le calendrier de recul des âges établi par la réforme de 2010. Une solution peu opportune, selon la commission, après les augmentations significatives introduites par la réforme de 2010.

. Augmenter les cotisations d'assurance-vieillesse. La commission propose une hausse de la cotisation déplafonnée de 0,1 point pendant 4 ans (2014-2017), répartie à égalité entre parts salariale et patronale.

Pour la Commission"les efforts requis sont importants et auront à être mis en œuvre dans un contexte économique peu favorable, que les mesures risquent, compte tenu de leur effet récessif potentiel, de rendre plus délicat encore". Autrement dit, plus les actifs et les retraités sont sollicités, plus la dépression risque de s'aggraver, plus le trou des retraites est susceptible de se creuser. Et plus augmentent les probabilités d'un nouveau rapport, suivi bientôt d'une nouvelle réforme... En l'absence d'idées nouvelles, notre régime de retraite ressemble curieusement au tonneau des Danaïdes !

Fonctionnaires, régimes spéciaux...

Lors de sa dernière allocution télévisée, dimanche 16 juin, sur M6, François Hollande a annoncé qu'il n'entendait pas "tout remettre à plat" lors de la réforme des retraites.

Le président s'est notamment montré prudent sur les régimes spéciaux et le rapprochement entre le régime de retraite des salariés du secteur privé et celui des fonctionnaires, que le rapport Moreau ne considère d'ailleurs pas comme des problèmes majeurs.

Selon toute vraisemblance, le gouvernement ne s'attaquera pas à certains avantages de ces régimes, préférant ne pas aller au clash avec les syndicats.

... encore épargnés ?

Concernant les fonctionnaires, il a estimé qu'il y avait déjà eu un rapprochement grâce aux précédentes réformes, les cotisations et les durées de cotisations du public et du privé étant désormais les mêmes. Certaines différences notables subsistent néanmoins, à l'avantage des agents publics, sur la base de calcul de la retraite et son taux notamment.

Concernant les régimes spéciaux, le président a indiqué que la réforme avait déjà eu lieu, en 2008. Mais là encore, les règles, définies par les organisations syndicales il y a très longtemps, font perdurer des avantages (possibilité de retraite à 55 ans, voire à 50 ans, mode de calcul…), qui ne paraissent plus aussi légitimes aujourd'hui.